« MON MÉTIER C’EST LA NUIT » – INTERVIEW DE LARISSA TROSSAIS
Au Purple, l’activité est à l’arrêt. L’établissement, bien connu des habitants de Granville (mais pas que), est en effet en stand-by depuis que la fermeture des lieux de vie nocturne a été imposée suite à l’épidémie de COVID-19. Rencontre avec Larissa Trossais, manager du Purple et programmatrice de soirées.
Salut Larissa ! Pour bien comprendre ton activité et l’établissement que tu représentes, peux-tu nous expliquer ton rôle et le lieu dans lequel tu travailles ?
Je suis Larissa, manager du bar club du Stelsia Casino Granville qui s’appelle le Purple, et ce depuis 11 ans. J’y suis arrivée un peu par hasard car je faisais pas mal de saisons à l’époque, le bar n’avait rien à voir en 2009 d’ailleurs. J’y ai donc fait une première saison d’été, j’ai lancé quelques soirées qui faisaient environ 50 personnes à l’époque , c’était vraiment le tout début du Purple .
Petit à petit le Purple a grandi. Aujourd’hui c’est un bar club à ambiance musicale, ouvert du jeudi au dimanche toute l’année de 19h30 à 4H, qui fait travailler deux barmans et un résident permanent à l’année , en plus de faire tourner les DJs de la région tous les jeudis. C’est un lieu éclectique où l’on accueille des personnes de 18 à 70 ans à peu près. La programmation est ciblée sur une clientèle jeune le jeudi car il y a plusieurs écoles d’étudiants à Granville, il y a également de grosses soirées à thèmes l’été qui cartonnent avec les locaux et les touristes. Les vendredis sont plus difficiles à travailler depuis 2-3 années et l’affluence est en parcimonie , alors on essaie de trouver des thèmes pour revaloriser le vendredi. Nous avons fait par exemple des afterworks avec des commerçants. Le samedi ça démarre par des concerts (reggae, pop rock, musiques actuelles, reprises), une programmation éclectique jusqu’à 1H30 pour une clientèle un peu plus âgée , puis on laisse place au DJ pour finir la soirée sur le dancefloor. Le dimanche le bar est également ouvert en mode bar classique mais nous lançons également des thématiques l’été.
Comment se déroule ton quotidien depuis l’arrêt du secteur suite aux mesures de confinement imposées à la mi-mars ?
Comme beaucoup au chômage partiel, mais aussi un peu en télétravail car je m’occupe du marketing et de la communication du casino. J’ai fait le choix de rester présente au quotidien sur les réseaux sociaux des Casinos pour maintenir le lien avec une clientèle souvent âgé et seule en proposant des jeux, comme des mots fléchés ou des énigmes à résoudre. C’était important d’être présent pour eux dans cette période. Côté Purple , nous avons également animé les réseaux , il y a eu des lives de DJs, par exemple Danny Wild qui est un ex-résident du Queen à Paris, Minj, Lady Style, Jeny Preston, Stef Konstan (qui vient jouer pour les soirées carnaval tous les ans ), DJ Mast, DJ Valak (à la base programmé le week-end de Pâques, finaliste du concours Red Bull Freestyle), mais aussi les deejays locaux DJ Dams, Oli Kozine et Fred Kantis.
Il y a eu un lien solidaire qui s’est fait très rapidement avec les acteurs du monde de la nuit et maintenir le lien avec notre clientèle est vraiment primordial. Nous avons aussi lancé des vidéos de cocktails, des blindtests sur Instagram, des tournois de pokers privés et même publié des photos dossiers. Mais maintenant il serait temps qu’on puisse réouvrir.
Quel est ton état d’esprit suite aux décisions prises le week-end de la fête de la musique concernant une probable réouverture des discothèques en septembre ?
Je suis un peu fatiguée d’avoir à gérer les bonnes et les mauvaises nouvelles, c’est un ascenseur émotionnel qui ne rassure pas du tout. Entre le dernier discours d’Edouard Philippe qui évoquait la date du 22 juin, puis la douche froide avec le discours d’Emmanuel Macron qui n’a pas du tout parlé des établissements de nuit, et enfin le communiqué de presse du Ministère sorti dans la nuit du vendredi 19 au samedi 20 juin qui interdit aux expositions, aux foires et aux discothèques de rouvrir avant septembre, ça a été la goutte d’eau qui fait déborder le vase. Nous sommes clairement les oubliés de la crise, d’autant plus qu’on nous impose de base des règles d’hygiène stricte, alors voir des vidéos de la fête de la musique où rien n’est respecté, c’est juste aberrant.
Je suis très contente pour les bars qui ont pu réouvrir mais les restaurateurs et les bars n’arrivent pas tous à gérer l’afflux de monde. Les gens ont envie de sortir, de faire la fête, ils veulent retrouver leur liberté, certains respectent les règles sanitaires et d’autres ont du mal. On ne peut pas faire la police devant chaque client, leur métier n’est pas adapté pour faire face à ce qu’il se passe. Il faudrait que notre gouvernement ouvre les yeux et que Monsieur Véran ne stigmatise plus notre métier en disant que le virus pourrait repartir à cause des lieux de vie nocturne. On pourrait comprendre pourquoi les établissements classé P ne puissent pas ré-ouvrir si seulement on ne voyait pas certains établissements classé N faire le même métier que nous … Donc on ne comprend pas.
Nous avons été plusieurs établissements à nous être retrouvés devant la préfecture de Saint-Lô la semaine dernière pour nous faire entendre. Et beaucoup d’autres actions ont été faites par d’autres collègues de la nuit. Nous avons aussi la chance d’avoir les députés de la Manche et du Calvados, Monsieur Bertrand Sorre et Monsieur Christophe Blanchet, qui nous soutiennent et qui portent nos voix dans les réunions des hautes sphères de la politique. Une prochaine réunion doit se tenir demain, en espérant que les choses bougent. Mais à l’heure actuelle je ne sais toujours pas si je dois bosser un programme pour l’été, si je dois contacter mes prestataires, mes fournisseurs , mes artistes … C’est compliqué de s’organiser sans réponse.
Comment vois-tu l’avenir du Purple ?
Le Purple fait partie intégrante d’une société qui pourra supporter les éventuelles charges supplémentaires, donc financièrement nous ne sommes pas voués à disparaître. Par contre je pense aux barmans , aux agents de sécurité, aux DJs, aux guests, aux artistes, aux performers, aux danseuses, aux percussionnistes, aux fournisseurs, à toutes les personnes qui font vivre l’établissement à l’année ; ce sont toutes ces personnes qui sont impactées par la fermeture des discothèques. Quand il n’y a pas de besoin , il n’y a pas de booking ou de commande. Et quand il n’y a pas de commande le risque de perdre une exploitation est grandissant.
Le risque est de voir se multiplier les fêtes illégales. il faut bien comprendre qu’en tant qu’établissement de nuit nous sommes souvent pointés du doigt quand une bagarre éclate tard dans la nuit ou qu’il y ait du tapage nocturne. Je ne parle pas spécialement du Purple en particulier mais l’image du monde de la nuit est souvent ternie par les médias. Pourtant nos conditions d’hygiène, d’accueil et de sécurité sont présentes pour éviter tout débordement, ce qui n’est pas le cas des fêtes sauvages qui pourraient se produire cet été. Peut-être que les riverains , les médias , les politiques se rendront compte , si nous devons encore rester fermé , que nous sommes de bonnes « nounous de la nuit » et que nous sommes des professionnels. C’est notre métier de gérer celles et ceux qui ressentent le besoin de sortir et de faire la fête .
Merci à Larissa pour cette interview en rapport avec la crise du secteur événementiel suite à l’épidémie de COVID-19 dans le monde. Vous pouvez suivre l’actualité du Purple sur les différents liens situés en bas de page.
Photo : © Purple