SCOPITONE 2018 : ENTRE AVANT-GARDE ET EMERVEILLEMENT

Nantes est une ville rebelle. Rebelle dans ses prises de positions mais aussi dans ses choix artistiques, également un exemple qui, au fil des ans, nourrit une réflexion toujours plus perspicace envers ce qui fait aujourd’hui la culture électronique et les éléments qui la composeront demain. Il y a ce rapport au temps, à la manière dont on l’alimente par des expositions ou des artistes, qui fait que septembre est une parenthèse à part dans le calendrier nantais. Indélébile, l’empreinte Scopitone marque la Cité des Ducs depuis près de deux décennies et crée un trait d’union magistral entre technique et avant-garde.

Il faut vivre le festival pour en comprendre le sens, et pour s’y rendre c’est très simple : les nuits Electro de Scopitone c’est en plein coeur de la ville, sur l’Île de Nantes, entre les Nefs et Stereolux, facile d’accès et facile à repérer. Si l’éléphant vole la vedette au festival, les structures métalliques enchantent l’imaginaire comme un décor de steampunk. Un espace grandiose et futuriste qui témoigne de l’activité portuaire de la ville, à quelques minutes à pieds du Hangar à Bananes, lieu de vie nocturne incontournable des nantais. Stereolux, poumon du projet culturel, n’est pas en reste avec deux salles à tailles différentes mais humaines, qui reste un parfait terrain de gym pour les milliers de festivaliers venus taper du pied.

Ce qui marque d’emblée c’est le métissage générationnel : toutes les tranches d’âge cohabitent dans cet univers électro, une vraie richesse quand on sait qu’en questionnant certaines personnes se dresse deux camps, le premier pour Paula Temple, le second pour Nina Kraviz. Il est vrai que les deux femmes les plus respectées du moment n’ont pas lésiné question missiles techno. Le set percussif et puissant de la noisicienne comme elle aime se décrire a mis tout le monde d’accord sur le fait que Paula Temple défie les frontières entres bruits et silences. Quand à la productrice russe, son set pour clore la nuit du vendredi s’est transformé en pluie de kicks lourds, aussi costaud qu’un pachiderme. Mention spéciale à l’installation Physis signée par le collectif Scale, à l’initiative de The Absolute Company Creation, ainsi qu’au live techno de Dasha Rush, divinement mental et frissonnant.

Une autre femme qui a fait sensation dans la salle Micro de Stereolux, c’est la jeune parisienne Onyvaa, originaire de Californie. Souriante et énergique, son set techno a su envoûter le public et cette hyperactive devrait avoir une belle carrière devant elle puisqu’elle a monté son propre label Passeport et enchaîne les dates aux quatre coins de l’Europe. De l’autre côté du mur c’est avec Madben que notre coeur s’est emballé : la nouvelle version de son live déploie une maturité encore plus grande pour le producteur parisien qui enchaîne les projets avec une aisance déconcertante. Une communion techno émouvante et détonante qui rappelle en filigrane la beauté de son tout premier album sorti au printemps.

La nuit du samedi ne perd rien dans son ambiance électrique : la fatigue ne semble pas avoir déteint sur le visage des festivaliers. Pour les plus curieux les expositions de jour permettent aussi de respirer avec notamment Versus de Nonotak, duo formé par Noemi Schipfer et Takami Nakamoto, une performance qui casse les codes de notre perception visuelle, une vraie merveille. Si cette expérience illumine le public, il en est de même pour le live de Max Cooper dans la salle Maxi du Stereolux. L’anglais impressionne par un voyage audiovisuel, toujours en quête d’un terrain d’action pour envelopper la salle dans la définition du superbe. Précis tel un horloger, l’artiste maîtrise le temps et l’énergie nécessaire pour capter l’admiration des festivaliers. La force de Scopitone, c’est aussi d’envoyer ses festivaliers hors de l’espace-temps : le voyage sonore prend effet sans même qu’on y prête attention, et nous voici catapulté dans une énergie palpable entre tous.

La programmation 2018 comportait aussi des teintes qui sortent des sentiers battus. Couleur électro funk pour la voix sublime de Wwwater, ébullition de kicks et de breaks pour la nantaise Myako, renouvellement de la scène gabber avec la performance de Sentimental Rave, le fossé n’existe plus entre l’ancienne et la nouvelle génération de producteurs. Les passerelles des genres s’effacent avec le temps et l’effervescence du festival se mesure aussi bien par les bras levés que par les gestuelles du public qui s’anime. Quoi de mieux que de terminer la soirée avec deux icônes françaises inséparables : Miss Kittin et The Hacker. Animés d’une énergie qui n’a pas pris une ride depuis leurs débuts, le duo enchaîne sans dérapages une techno brute mais efficace pour montrer que la France est encore présente sur la carte des pays qui font bouger la scène. Pouce en l’air pour le petit déjeuner à la sortie des Nefs qui rappelle combien le festival a le soucis du détail.

Les yeux, les oreilles, les sens : l’édition 2018 du festival Scopitone est une belle ordonnance pour guérir du manque de curiosité. Avec une 17ème édition ayant réuni plus de 31.000 festivaliers, l’événement nantais reste le rendez-vous des cultures électroniques et des arts numériques à ne pas manquer pour apprécier l’été indien jusqu’au bout !

Photographies : © David Gallard

Reportage : © Maxime Menard