INTERVIEW : FAKEAR


Programmé pour la 21ème édition du festival Panoramas à Morlaix dans le Finistère, auteur d’un troisième album All Glows toujours aussi merveilleux, le jeune caennais Fakear nous a fait le plaisir de répondre à quelques questions.

Tu es originaire de Normandie et aujourd’hui tu es connu dans toute la France et même au-delà. Quel est ton état d’esprit aujourd’hui ?

Moins je m’en préoccupe et mieux je me porte à vrai dire ! Je vis à la campagne en Suisse dans un petit village donc je n’entends pas parler de Fakear la plupart du temps. C’est lorsque je suis en tournée, en promo ou dans les festivals que je me rends compte de ce que mon nom procure et la manière dont les fans vivent le truc. C’est toujours une surprise, un émerveillement. En vrai je suis bien, j’ai vécu 3/4 ans à Paris et à la fin c’était trop pour moi. Partir m’a permis de m’isoler et j’ai plus ce sentiment de vivre une vie normale, parce que c’est souvent ce qui cloche lorsque tu démarres une carrière artistique : tu dois sacrifier ta vie normale pour celle-ci et tu dois concentrer toute ton énergie dans la première alors qu’en fait c’est « juste » un boulot.

Tu as réalisé de superbes EPs, ton troisième album vient de sortir, tu es donc assez actif dans la production. Où puises-tu ton inspiration ?

Je la puise dans beaucoup de choses, je n’ai jamais vécu de « blanc » et j’ai de la chance. Je la puise surtout dans ma vie normale : le fait d’entretenir ma vie privée et de laisser la priorité à des périodes où je tourne à fond, ça me permet d’avoir du temps pour ma vie de couple, ma vie avec mes potes, ma vie de famille … C’est après des moments comme ça que je me concentre à fond sur la production. C’est une alternance : le manque de tes potes te frustre, tu les vois, et ensuite c’est la musique qui te frustre alors tu en fais. C’est un cycle.

Ce qui est marrant c’est que ça m’a permis de mettre en lumière un autre problème : l’aventure Fakear a démarré quand j’avais 21 / 22 ans, c’est juste magique, et aujourd’hui j’y ai trouvé mon équilibre de vie, mon rythme. Ensuite dans la tournée je me suis posé la question : est-ce que j’ai besoin de Fakear pour trouver mon équilibre ? Est-ce que j’ai besoin de ça pour être en confiance ? Parce qu’un jour ce projet s’arrêtera, c’est clair. Il faut que je bosse sur moi, en faisant du yoga ou de la méditation peut-être !

Tes morceaux sont au carrefour de l’électronique et d’ambiances ethniques et ton troisième album « All Glows » a tout pour séduire. Quel message souhaites-tu faire passer à travers cet album ?

J’ai plutôt l’impression de préciser ce message à travers ce troisième album. Avec mes derniers travaux Sauvage, Mineral, Vegetal, il y avait cet appel à la nature, à l’instinct. Dans All Glows j’ai poussé ce message plus loin, j’ai suivi une formation de Jedi … Je rigole ! Pour cet album je me suis ouvert à la spiritualité, j’ai voulu y mettre toutes les choses qu’on ne maîtrise pas en tant qu’être humain comme le karma, les énergies. C’est ce qui définit ma conception de l’humain.

Cet album c’est « revenez à votre instinct, apprenez à vous connaître vous-même et ouvrez-vous ». M’ouvrir à la spiritualité m’a donné plein de clés dans ma vie pour comprendre plein de choses, pour prendre soin de moi, pour être à l’écoute de mon corps, pour m’ouvrir à des émotions. Ce ne sont pas des choses que nous apprenons à l’école ou que nos parents nous enseignent, spécialement en tant que garçon. Dans l’éducation féminine occidentale on apprend aux filles à être très à l’écoute de leurs émotions, alors que nous les garçons on nous apprend à être en compétition, à être plus performant, à être toujours plus. Le fait de m’ouvrir à la spiritualité m’a fait apprendre que vouloir plus, mieux, ça n’avait pas de sens. C’est un truc purement humain, matériel. Clairement ça m’a permis d’ apprendre qui je suis vraiment. Cet album c’est vraiment « apprenez à vous connaître ». J’en suis hyper fier, je vais le savourer à sa juste valeur car je n’ai pas d’autres projets de sorties, juste composer pour moi. Parce que la clé c’est de s’aimer tel que l’on est au moment présent.

© GECNIV

Tes productions sont souvent étiquetées bass music. Comment qualifies-tu ta musique ?

Je m’en fiche un peu parce que ce sont les artistes qui font évoluer les étiquettes. Je suis assez content de pouvoir sortir de la musique que les médias cataloguent dans un certain style pour la changer de registre 3/4 ans après. Finalement ça me passe au-dessus parce qu’avant tout je fais de la musique que j’aime. Je suis amateur de bass de music de ouf, j’en écoute depuis toujours mais ce système d’étiquette c’est assez français, du style « je range ce truc dans cette case ».

Tourner aux Etats-Unis m’a donné un autre son de cloche car le public ne vient pas voir un artiste pour tel ou tel style mais plutôt pour écouter de la musique électronique en général. Les américains rangent tout dans une seule case !

Tu as fait plusieurs collaborations dans ton nouvel album, comment se déroulent les échanges et est-ce qu’il y a des artistes avec qui tu rêverais de collaborer ?

Ça s’est fait de manière très étrange ! J’ai quasiment construit mon album en entier tout seul chez moi et ensuite je l’ai présenté à ma maison de disque. Elle m’a répondu « écoute c’est cool cet album mais il faudrait peut-être que tu sortes de ta zone de confort et que tu te mettes un nouveau défi ». Elle a adressé un message à des artistes en mode « Fakear est dispo 10 jours, qui veut venir bosser avec lui ? » et plusieurs personnes ont voulu collaborer direct ! Toutes les collaborations sont en fait des accidents heureux qui fait que certains morceaux sont devenus hyper connus comme Something Wonderful, Lost In Time … Cette démarche est géniale et peut-être que je la reprendrais sur un prochain album en mode « salut je suis dispo qui veux venir ? »

Est-ce qu’il t’arrive de composer quand tu es en tournée ?

Avant oui mais plus trop maintenant. J’aime bien m’appliquer, de plus en plus même, et j’aime avoir tous mes outils à disposition chez moi avant de me lancer dans quelque chose. Si j’ai vraiment une idée urgente je vais la noter et la démarrer parce que j’ai de quoi faire en tournée mais j’essaie de moins le faire car il y a trop de contraintes et ça biaise le son que je souhaite.

Petite anecdote : quand j’étais aux Etats-Unis j’ai fait des premières parties d’autres groupes et une fois que mon concert était fini je rentrais dans le tour bus pour composer. Tout le monde était occupé pour le headliner et j’étais tout seul dans le tour bus, je pouvais me concentrer comme je voulais ! Il y a plusieurs morceaux qui sont sortis à cette période comme Shakra, Sacred Feminine (qui était une composition solo avant la collaboration avec Ibrahim Maalouf, ndlr). J’ai beaucoup composé aux Etats-Unis.

Tu joues sur des Maschine de Native Instruments, est-ce que tu comptes faire évoluer ton set-up à l’avenir ?

Pas vraiment. Depuis le début de la tournée, sur scène, je reprends la guitare. Ça ajoute un truc un peu rock n’ roll et ça rend la musique encore plus vivante. Par contre chez moi je n’utilise pas mes Maschine : je fais tout au clavier, à la guitare et au micro. Si je dois acheter du hardware ça sera un beau synthétiseur, mais juste un ! Avec le software tu peux vite avoir tendance à te paumer et je m’impose des petites barrières sinon ça serait du grand n’importe quoi. Si on me plaçait dans une salle avec tous les meilleurs équipements du monde je ne saurais pas composer un morceau parce qu’il y aurait trop de choix et trop de matériel que je ne sais pas utiliser. J’en prendrais juste deux pour travailler une chanson.

Il y a l’artiste d’un côté, l’homme de l’autre. Est-ce que ton équilibre de vie serait dans l’élevage de poules comme Diplo ?

Bien sûr ! Diplo est un artiste que je suis beaucoup sur les réseaux et son image est très paradoxale, il peut jouer dans des clubs à Las Vegas et manger vegan avec ses enfants et ses poules ! C’est extra parce que tu as le droit de faire ce que tu veux et personne n’est là pour te juger. Avec ma copine nous avons réalisé ça il n’y a pas très longtemps : autant nous sommes très friand de fringues, nous adorons être bien lookés quand nous sortons, et nous faisons de la méditation le matin, nous mangeons vegan, nous vivons à la campagne, nous sommes une espèce de paradoxe pour la société moderne mais ça ouvre de nouvelles portes ! Il faut se détacher de la célébrité pour vivre sainement. En tout cas si j’ai des poules je les posterais en stories comme Diplo !


Plus d’informations sur les concerts de Fakear sur Allo Floride.


Interview réalisée par Maxime Menard